Mot-clé : « Jouffroy (Théodore) »

Fil des textes - Fil des commentaires

Le Livre, tome II, p. 014-030

Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 014.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 014 [030]. Source : Internet Archive.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 015.
Pour suite de note : Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 015 [031]. Source : Internet Archive.

souvenirs, croyances, il m’obligeait à tout laisser ; l’examen se poursuivait plus obstiné et plus sévère, à mesure qu’il approchait du terme, et il ne s’arrêta que quand il l’eut atteint. Je sus alors qu’au fond de moi-même il n’y avait plus rien debout.

« Ce moment fut affreux, et quand, vers le matin, je me jetai épuisé sur mon lit, il me sembla sentir ma première vie, si riante et si pleine, s’éteindre, et, derrière moi, s’en ouvrir une autre, sombre et dépeuplée, où désormais j’allais vivre seul, seul avec ma fatale pensée, qui venait de m’y exiler et que j’étais tenté de maudire…[014.1]. »

[II.030.014]
  1.  Th. Jouffroy, De l’organisation des sciences philosophiques, Nouveaux Mélanges philosophiques, pp. 83-84. (Paris, Hachette, 1882.) On ne lira pas non plus sans intérêt les extraits suivants du même psychologue, relatifs à l’émancipation de la pensée : « Y a-t-il quelque chose de plus ridicule que d’en vouloir aux philosophes du xviiie siècle d’avoir pensé ce qu’ils ont pensé ? C’est comme si l’on se fâchait contre la toupie qui tourne sur le fouet de l’enfant : ce n’est pas la toupie qui est coupable, c’est l’enfant. Quand le peuple en France a su lire, pouvait-il ne pas lire ? pouvait-il lire sans comprendre, et comprendre sans croire ou douter ? Croire certaines choses, douter de certaines autres, n’est-ce point avoir une opinion ? Et a-t-on jamais vu qu’une opinion, ridicule ou sublime, bonne ou mauvaise, manquât de représentants ?… » Etc. (Id., De la Sorbonne et des philosophes, Mélanges philosophiques, p. 31.) Et plus loin (p. 32) : « Est-ce à dire que rien n’est absolument vrai ni absolument faux, que les opinions sont comme les modes, belles quand on les prend, laides quand on les quitte ? Nous sommes loin de le penser. Nous estimons qu’il est absolument vrai que deux et deux font quatre, et absolument faux que deux et deux font cinq ; mais nous pensons aussi que jamais siècle n’a cru ni ne croira que deux et deux font cinq ; nous pensons que jamais le faux ne peut devenir l’opinion d’une époque…. Ce n’est point de la vérité à l’erreur et de l’erreur à la vérité que voyage l’esprit humain, mais d’une vérité à une autre, ou, pour mieux dire, d’une face de la vérité à une autre face… »  ↩

Le Livre, tome II, p. 012-028

Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 012.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 012 [028]. Source : Internet Archive.

et Dieu le mène ». Tout le secret de la vie est là : il faut s’étourdir par l’action. De jour en jour, d’ailleurs, j’ai moins la peur d’être détrompé, et ma philosophie se fait toute seule. Je me suis aperçu que le bonheur, comme il faut l’entendre, n’est autre chose, quand on n’en est plus aux idylles, que le parti pris de s’attendre à tout et de croire tout possible. La vie n’est qu’une auberge où il faut toujours avoir sa malle prête. Cette théorie, qui est triste au fond, n’altère en rien ma bonne humeur. Elle me donne le droit de ne plus croire qu’à très peu de choses, de me fier aux idées plutôt qu’aux hommes, de rire des sots, de mépriser les fripons de toute nuance, de me réfugier plus que jamais dans l’idéale sphère du vrai, du beau, du bien, et d’avoir à cœur encore les bonnes, les vieilles, les excellentes amitiés de quelques fidèles. La beauté dans l’art, la moralité en politique, l’idéalisme en philosophie, l’affection au foyer,… il n’y a rien après. Je ne donnerais pas une panse d’a de tout le reste. »

Le philosophe Théodore Jouffroy (1796-1842), l’auteur de cette étude analytique si fouillée, si profonde, intitulée : Comment les dogmes finissent[012.1], a écrit une page très émouvante et demeurée célèbre sous le nom de « la Nuit de Jouffroy », que le spiritualiste Edme Caro déclare avec raison « égale

[II.028.012]
  1.  Dans les Mélanges philosophiques, pp. 1-19. (Paris, Hachette, 1860.)  ↩