Le Livre, tome II, p. 312-328

Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 312.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 312 [328]. Source : Internet Archive.

XIII. Du prêt des livres

Occupons-nous d’abord du prêt des livres dans les bibliothèques publiques.

Dans celles de ces bibliothèques où le prêt des livres au dehors est autorisé, les bibliothèques universitaires, par exemple, il est de règle de ne laisser sortir aucun des ouvrages qui sont fréquemment demandés pour être consultés sur place, et dont on ne possède que peu d’exemplaires, aucun ouvrage « de référence » surtout, aucun livre rare, précieux à un point de vue quelconque, au point de vue de la reliure notamment ; aucun volume non plus faisant partie, comme les périodiques, d’une collection.

« Sont exceptés du prêt (au dehors) : 1º les livres demandés fréquemment ; 2º les périodiques ; 3º les dictionnaires ; 4º les ouvrages de prix ; 5º les gravures, cartes et plans ; 6º les ouvrages brochés[312.1]. »

[II.328.312]
  1.  Instruction générale relative aux bibliothèques populaires, ap. Ulysse Robert, Recueil des lois concernant les bibliothèques publiques, p. 131. Voir aussi Gabriel Richou, Traité de l’administration des bibliothèques publiques, pp. 174-175.  ↩

Le Livre, tome II, p. 313-329

Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 313.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 313 [329]. Source : Internet Archive.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 314.
Pour suite de note : Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 314 [330]. Source : Internet Archive.

« Les ouvrages précieux, qu’il serait impossible, ou du moins très difficile, de remplacer, tels que les manuscrits, les incunables, les chartes, ne doivent pas être prêtés, dit, de son côté, Graesel, dans son Manuel de Bibliothé­conomie[313.1] ; on peut en dire autant des estampes, des dessins originaux et des cartes, pour lesquels une détérioration, même légère, constituerait une irréparable perte. Il faut exclure également du prêt tous les livres qui sont d’un usage courant, les recueils encyclopédiques, par exemple, les lexiques, glossaires, manuels, ouvrages de référence, les répertoires bibliographiques dont se servent les employés de la bibliothèque, enfin les collections, les revues et les publications académiques. Inutile d’ajouter que les livres non reliés, et ceux qui ne sont pas encore catalogués, ne doivent sortir sous aucun prétexte. »

Egger[313.2] conseille, en outre, et avec grande raison, de ne prêter au public « que des livres faciles à transporter », c’est-à-dire d’un format maniable, ne dépassant pas l’in-octavo.

Il va sans dire que tout prêt doit être inscrit sur un registre.

Quant à la durée du prêt, « qui doit toujours être déter­minée »[313.3], elle varie de huit ou quinze jours à

[II.329.313]
  1.  Page 414.  ↩
  2.  Histoire du livre, p. 221.  ↩
  3.  Léopold Delisle, Instructions élémentaires et techniques pour la mise et le maintien en ordre des livres d’une bibliothèque, p. 45.  ↩

Le Livre, tome II, p. 314-330

Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 314.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 314 [330]. Source : Internet Archive.

trois mois. « Les délais, dit M. Léopold Delisle[314.1], ne devraient pas dépasser trois mois, sauf, dans certains cas, la faculté laissée à l’emprunteur de demander la prolongation du prêt. Le bibliothécaire ne doit jamais laisser un livre sorti de la bibliothèque pendant plus d’un an. »

Au moyen âge, à l’origine de nos bibliothèques publiques, il était fréquent de faire déposer un gage pour tout livre prêté. Cette condition se trouve stipulée dans le règlement de la bibliothèque de la Sorbonne, De libris et de librariis, mis en vigueur en 1321, le plus ancien règlement sur l’organisation d’une bibliothèque. Le premier article établit le système du cautionnement, et le second ordonne l’élection des gardiens ou bibliothécaires par les socii[314.2].

Ces deux articles fondamentaux se retrouvent, comme nous allons le voir, dans le règlement de Richard de Bury, et en forment les points essentiels ; aussi, et selon la remarque du bibliographe Hippolyte Cocheris[314.3], est-il impossible de ne point recon-

[II.330.314]
  1.  Op. cit., ibid.  ↩
  2.  Voir le texte de ces articles dans l’introduction de Hippolyte Cocheris au Philobiblion de Richard de Bury, p. xlv. « La question du prêt des livres, qui fait encore le désespoir des administrations des bibliothèques, dit H. Cocheris (p. xliv), est résolue par le système du cautionnement. »  ↩
  3.  Op. cit., p. xlv ↩

Le Livre, tome II, p. 315-331

Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 315.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 315 [331]. Source : Internet Archive.

naître là une imitation. La haute position que Richard de Bury, évêque de Durham et grand chancelier d’Angleterre, occupait dans le monde politique lui avait certainement facilité l’accès de notre Sorbonne ; il n’avait pas manqué d’en visiter la bibliothèque et de s’informer auprès des conservateurs de l’organisation qui la régissait, et le chapitre où il traite du prêt des livres[315.1] reflète ces renseignements et cette organisation.

« Il a toujours été difficile de renfermer les hommes dans les lois de l’honnêteté. Bien plus, la fourberie des modernes s’est efforcée de dépasser les limites des anciens et d’enfreindre, dans l’insolence de leur liberté, les règles établies. C’est pourquoi, suivant le conseil d’hommes prudents, nous avons déterminé un certain mode, d’après lequel nous voulons régler l’usage et la communication de nos livres, pour l’utilité des étudiants. D’abord, tous nos livres, — dont nous avons fait un catalogue spécial, — nous les avons, dans un but de charité, concédés et donnés au comité des écoliers vivants à Oxford, dans notre hall, en perpétuelle aumône pour notre âme, celles de nos parents, et aussi pour celles du très illustre roi d’Angleterre Édouard, troisième du nom depuis la conquête, et de très dévote dame la reine Philippa,

[II.331.315]
  1.  Philobiblion, chap. xix, Sage Règlement sur la nécessité de communiquer les livres aux étrangers, pp. 155-158 ; trad. Hippolyte Cocheris.  ↩

Le Livre, tome II, p. 316-332

Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 316.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 316 [332]. Source : Internet Archive.

son épouse, afin que ces livres soient prêtés pour un temps aux écoliers et aux maîtres, tant réguliers que séculiers, de l’Université de ladite ville, et qu’ils servent et profitent à leurs études, suivant le mode qui suit immédiatement et qui est tel :

« Cinq écoliers demeurant dans la hall susdite seront choisis par le maître de ladite hall, qui leur confiera la garde des livres. De ces cinq personnes, trois d’entre elles, et pas moins, auront le droit de prêter le livre ou les livres pour la lecture ou l’usage de l’étude. Nous voulons qu’on ne laisse sortir de l’enceinte de la maison aucun livre pour le copier ou le transcrire. Donc, quand un écolier séculier ou religieux, lesquels ont une part égale dans notre faveur, viendra pour emprunter un livre, les gardiens considéreront avec soin s’ils possèdent ce livre en double, et, s’il en est ainsi, ils pourront le prêter sous caution, caution qui, d’après leur estimation, devra toujours dépasser la valeur du livre. Ils devront immédiatement dresser un écrit qui rappellera le livre prêté, le gage fourni, avec les noms de ceux qui prêtent et de celui qui a reçu, ainsi que la date du jour et de l’année. Si les gardiens ne trouvent pas en double le livre demandé, ils ne le prêteront à personne, sauf à ceux qui font partie du comité de ladite hall, encore sous la condition expresse de ne point le laisser sortir de l’enceinte de la maison ou de la hall. Un livre quelconque pourra être prêté

Le Livre, tome II, p. 317-333

Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 317.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 317 [333]. Source : Internet Archive.

par l’un des trois gardiens à l’un des écoliers de ladite hall, après avoir pris d’abord note de son nom et du jour de l’emprunt. L’écolier auquel on aura prêté ce livre ne pourra point le communiquer à un autre, à moins que ce ne soit du consentement des trois gardiens susnommés, qui auront alors le soin d’effacer le nom du premier emprunteur, d’indiquer celui du second, et la date de ce nouvel emprunt.

« Lorsque les gardiens entrent en charge, ils promettent par serment d’observer ce règlement, et ceux qui empruntent le livre ou les livres jurent également qu’ils ne le demandent que pour le lire et l’étudier, en promettant qu’ils ne le transporteront pas, et qu’ils ne permettront pas qu’on le transporte hors d’Oxford ou de ses faubourgs….

« S’il arrivait par hasard qu’un livre fût perdu, soit par la mort, soit par un vol, par la fraude ou l’incurie, celui qui l’aura égaré, son procureur ou l’exécuteur de ses dernières volontés, payera le prix du livre et recevra le gage en échange. Enfin, s’il arrivait que, d’une manière ou d’une autre, les gardiens fissent quelque bénéfice [en remplaçant le livre perdu] ils l’emploieront à la réparation et à l’augmentation des livres[317.1].

La règle prescrivant que « le gage est une condition sine qua non du prêt » était appliquée dans les

[II.333.317]
  1.  Philobiblion, chap. xix. Cf. aussi Ludovic Lalanne, Curiosités bibliographiques, pp. 187-189.  ↩

Le Livre, tome II, p. 318-334

Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 318.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 318 [334]. Source : Internet Archive.

bibliothèques de nombre de couvents, et les soins les plus rigoureux étaient souvent prescrits aux moines pour la conservation et le bon ordre de leurs livres. « Un religieux devait demander pardon, comme d’une faute punissable, d’avoir laissé tomber un livre, dit H. Géraud[318.1] ; il devait veiller avec soin à ce que ceux qu’il empruntait à la bibliothèque du couvent ne fussent exposés ni à la fumée ni à la poussière ; la moindre tache arrivée par sa négligence était un sujet d’un grave reproche. Enfin le prêt des livres, même lorsqu’ils ne devaient point sortir de la maison, était soumis à des garanties bien autrement efficaces que dans nos bibliothèques publiques. Le sacristain ou le bibliothécaire, armarius, dans les monastères où cette charge existait, devait non seulement inscrire l’emprunt, mais encore exiger de l’emprunteur un gage qui n’était remis qu’au moment où le livre était restituée[318.2]. »

[II.334.318]
  1.  Essai sur les livres dans l’antiquité, p. 227.  ↩
  2.  Géraud cite ici, entre autres références, Félibien, Histoire de Paris, pièces justificatives, t. III, p. 177, et une série d’articles intitulés Des Bibliothèques au moyen âge, parus dans les Annales de philosophie chrétienne de janvier et février 1839. Ces précautions et ces soins n’étaient malheureusement pas pris dans tous les monastères. Voir ce qui est dit dans notre tome I, page 81 : « La règle des couvents, comme toutes les lois en général, indique ce qui devait se faire, et non pas ce qui se faisait, » etc. ; plus loin, page 102, la visite de Boccace à l’abbaye du Mont-Cassin ; et, dans le présent volume, page 270, le désordre qui régnait parfois dans les bibliothèques conventuelles.  ↩

Le Livre, tome II, p. 319-335

Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 319.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 319 [335]. Source : Internet Archive.

Les rois eux-mêmes étaient astreints à cette clause, obligés de déposer un gage, quand ils empruntaient un volume à une bibliothèque conventuelle. Louis XI, désirant faire copier un manuscrit du médecin arabe Razi ou Rasis (-923), « le plus beau et le plus singulier thresor de nostre Faculté » de médecine de Paris, n’en obtint communication que moyennant le dépôt d’une somme de « douze marcs d’argent, vingt livres sterling, et l’obligation d’un bourgeois, — un nommé Malingre, — pour la somme de cent écus d’or[319.1] ».

Certains livres même, dans les bibliothèques publiques, notamment à Leyde, à la Laurentienne, à la cathédrale d’Hereford, etc., étaient alors attachés par des chaînettes de fer à leurs rayons ou à leurs pupitres, de façon à ne pouvoir être consultés que sur place : c’étaient les catenati, les « enchaînés ».

Les livres des bibliothèques publiques, ceux surtout des cabinets de lecture[319.2], offrent, pour la santé,

[II.335.319]
  1.  Peignot, Manuel bibliographique, p. 50, n. 1 ; et Ludovic Lalanne, op. cit., pp. 135-136.  ↩
  2.  Disons, en passant, que c’est en 1742 qu’a été établi à Paris, par les soins du libraire François-Augustin Quillau, le premier cabinet de lecture, « le premier cabinet littéraire où se réunissent les lecteurs ». (Ambroise Firmin-Didot, Essai sur la typographie, col. 844.)  ↩

Le Livre, tome II, p. 320-336

Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 320.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 320 [336]. Source : Internet Archive.

des dangers qui ont été mis récemment en évidence. Les docteurs du Cazal et Catrin, entre autres, ont nettement démontré que les livres sont de véritables véhicules des germes des maladies contagieuses, de la diphtérie, de la tuberculose, de la fièvre typhoïde principalement[320.1].

La Revue scientifique du 4 février 1899[320.2], dans un article sur « les Papiers dangereux et leur désinfection », signale les faits suivants :

« Le Bulletin mensuel de l’Œuvre des enfants tuberculeux nous apprend que la Caisse d’épargne de Bruxelles vient d’installer un service pour la désinfection des livrets et autres papiers qui affluent dans l’établissement. Tous les documents sont exposés maintenant pendant quelques heures aux vapeurs de l’aldéhyde formique…. Mais il est un danger de contamination beaucoup plus grand encore, et dont le public ne semble pas s’émouvoir : c’est celui que présentent les livres des bibliothèques publiques ou des cabinets de lecture. Tel roman populaire, tel bouquin à succès passe par mille ou quinze cents paires de mains avant d’être absolument trop crasseux ou trop fripé pour être hors d’usage. Dans ce nombre de lecteurs, il y a des convalescents, des malades, des tuberculeux. Or, le papier est un excel-

[II.336.320]
  1.  Cf. les journaux de février 1896, entre autres, l’Événement du 19 et l’Éclair du 25 février.  ↩
  2.  Pages 153-154.  ↩

Le Livre, tome II, p. 321-337

Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 321.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 321 [337]. Source : Internet Archive.

lent véhicule à microbes, et un livre, passant de main en main, peut apporter dans une famille un choix très complet de maladies transmissibles, depuis la rougeole, la scarlatine et la variole, jusqu’au choléra asiatique et la peste, en passant par le typhus, le croup et la diphtérie, la coqueluche, la gale, le charbon, les septicémies, les affections puerpérales et la tuberculose pulmonaire. Il y a là des mesures à prendre d’urgence, et nous nous étonnons que les services compétents n’y aient pas encore songé, d’autant plus que le remède est d’application facile, comme le prouve l’expérience de la Caisse d’épargne de Bruxelles. »

Ailleurs[321.1], la même revue, en constatant encore une fois que « le danger du transport des maladies contagieuses par les livres est universellement admis », cite l’exemple de vingt employés de l’Office sanitaire du Michigan, successivement atteints de tuberculose, après avoir compulsé des registres qui avaient séjourné quelque temps dans des salles occupées par des phtisiques. Ces registres furent examinés, et on les trouva imprégnés de bacilles tuberculeux.

Un autre exemple est communiqué par un médecin allemand, M. Max Bensinger, de Mann­heim[321.2]. Il s’agit

[II.337.321]
  1.  Numéro du 18 janvier 1902, p. 89. Cf. aussi le Mémorial de la librairie française du 26 mars 1903, pp. 176-177.  ↩
  2.  Cf. Mémorial de la librairie française, ibid.  ↩

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