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Le Livre, tome II, p. 293-309

Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 293.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 293 [309]. Source : Internet Archive.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 294.
Pour suite de note : Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 294 [310]. Source : Internet Archive.

social ; je ne conçois pas d’accolade plus hypocrite, d’union qui flaire davantage le divorce ! La femme et la bibliofolie vivent aux antipodes, et, sauf des exceptions aussi rares qu’hétéroclites, — car les filles d’Ève nous déroutent en tout, — je pense qu’il n’existe aucune sympathie profonde et intime entre la femme et le livre ; aucune passion d’épiderme ou d’esprit ; bien plus, je serais tenté de croire qu’il y a en évidence inimitié d’instinct, et que la femme la plus affinée sentira toujours dans « l’affreux bouquin » un rival puissant, inexorable, si éminemment absorbant et fascinateur, qu’elle le verra sans cesse se dresser comme une impénétrable muraille entre elle-même et l’homme à conquérir. »

M. Paul Eudel remarque aussi que « la collection (des livres particulièrement) a toujours eu pour ennemies jurées nos chères compagnes : « C’est autant de moins, disent-elles, pour la toilette et pour le train de la maison[293.1] ».

[II.309.293]
  1.  Paul Eudel, le Truquage, Livres et Reliures, p. 275. (Paris, Dentu, 1887.) D’après M. Firmin Maillard (les Passionnés du livre, p. 11), M. de Sacy estime que les femmes de bibliophiles sont bien plus heureuses et bien plus riches quelles ne le croient : « Ménagères qui avez le bonheur de posséder un mari bibliophile, au lieu de faire une figure refrognée, lorsque vous voyez arriver un nouveau paquet de livres, et que la bibliothèque envahit peu à peu tout l’appartement, réjouissez-vous donc ! c’est la fortune de vos enfants qui augmente. Les robes de vos filles et les cigares de vos fils, pour ne parler que des cigares, vous coûtent plus cher et il n’en reste rien…. Puis, point de jalousie, point de tracasserie, la femme du bibliophile est nécessairement la maîtresse de la maison, pourvu qu’elle sache s’arrêter au seuil du cabinet. »  ↩

Le Livre, tome II, p. 247-263

Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 247.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 247 [263]. Source : Internet Archive.

de la rue des Postes, où il vivait dans le travail et dans la pauvreté, et, la veille du jour où il s’alita, il était descendu dans la rue, se traînant avec peine, pour acheter, des derniers sous qui lui restaient, son triste déjeuner. Passant devant l’étalage d’un bouquiniste, il aperçut une brochure traitant de sujets qui l’intéressaient ; — en l’achetant, il ne lui restait plus rien… ; il n’eut ni hésitation ni lutte : il l’acheta, et remonta tranquillement dans sa mansarde, d’où il ne devait plus sortir que pour aller mourir à l’hôpital[247.1]. »

 

Citons encore le professeur et écrivain genevois Gaullieur (1808-1859), qui, « sobre comme un ascète, ayant l’art de porter vingt ans le même habit sans sordidité, économisait sou par sou sur un maigre traitement, sur sa pitance, sur ses vêtements, sur tout, pour pouvoir, nous apprend le journaliste et critique Henri de la Made­lène[247.2], venir de temps en temps à Paris, avec un petit sac d’écus, à la chasse des livres rares. Il fallait le voir à la salle Silvestre, certains jours de ventes célèbres ! Quelles émotions et quelles angoisses ! Aurait-il assez d’argent pour rester dernier enchérisseur du livre envié, et ses

[II.263.247]
  1.  Firmin Maillard, op. cit., pp. 148-149. M. Firmin Maillard, qui écrit toujours Bordas-Dumoulin (au lieu de Demoulin), signale « une page émouvante de M. John Lemoine [Lemoinne] sur la mort de ce grand philosophe ».  ↩
  2.  Article cité dans l’Événement, numéro du 27 avril 1866.  ↩

Le Livre, tome II, p. 246-262

Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 246.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 246 [262]. Source : Internet Archive.

thèque Mazarine. Il avait environ deux mille volumes et quelques objets d’art, qu’il a aimés jusqu’à la mort et qu’il ne lui est pas venu à l’idée de chercher à vendre — pauvre savant ! — afin de durer un peu plus.

« Son concierge et son élève l’Arménien l’accompagnèrent seuls à sa dernière demeure…. « Le malheureux est toujours seul, » disait-il souvent[246.1]. »

 

Non moins émouvante fut la fin du philosophe cartésien, catholique et libéral, Bordas-Demoulin (1798-1859), qui consacra son existence à l’étude et à la recherche de ce qu’il estimait être la vérité. Plein d’insouciance pour la vie matérielle, Bordas ne parvenait pas à se suffire à lui-même, et, maintes fois, sans quelques amis, il serait littéralement mort de faim. Il lui arrivait de garder le lit des journées entières, parce qu’il ne pouvait se tenir debout et encore moins marcher, tant était grande sa faiblesse, due au manque de nourriture. On le voyait toujours sordidement vêtu, chaussé de vieux souliers ramassés au coin des bornes, et toujours oublieux de sa misère, de ce qu’il appelait cependant « les extrémités terribles »[246.2].

Bordas-Demoulin « habitait une petite mansarde

[II.262.246]
  1.  Firmin Maillard, op. cit., pp. 134-136.  ↩
  2.  Larousse, Grand Dictionnaire, où l’article Bordas-Demoulin est très bien traité. Voir aussi François Huet (1816-1865), Histoire de Bordas-Demoulin. (Paris, Hetzel, 1861 ; in-12.)  ↩

Le Livre, tome II, p. 244-260

Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 244.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 244 [260]. Source : Internet Archive.

physionomie distinguée et mélancolique avait fait surnommer « le beau ténébreux », passa sa vie au milieu de ses rayons, sans vouloir jamais en sortir sans jamais connaître d’autres plaisirs, et traça ainsi l’épitaphe à graver sur sa tombe :

En naissant je fus orphelin ;
Je vécus seul à mon aurore,
Je vécus seul à mon déclin,
Et, seul ici, je suis encore[244.1].

Écoutez ce récit des derniers jours d’un autre fervent de l’étude et des livres, de l’érudit philologue Alexandre Timoni (….-1856). Il savait, paraît-il, une vingtaine de langues, et ne quittait sa chambre que pour se rendre dans les bibliothèques publiques. « Une petite rente sur un immeuble de Constantinople l’empêchait seule de mourir de faim…. Il avait cherché à donner des leçons, mais n’avait trouvé qu’un élève, un Arménien, à qui il enseignait le grec moderne, et qui le payait en lui apprenant à son tour à bien prononcer l’arménien.

« Un mois avant sa mort, Timoni ayant prié M. Blancard (son intime ami, ancien secrétaire de l’École d’Athènes), de le mener en consultation chez un médecin, et n’étant pas venu au rendez-vous, M. Blancard alla rue des Vieux-Augustins, où il trouva le savant dans son pauvre logis, sans feu, assis devant sa table, au milieu de ses livres et de

[II.260.244]
  1.  Firmin Maillard, op. cit., pp. 149-150.  ↩

Le Livre, tome II, p. 243-259

Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 243.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 243 [259]. Source : Internet Archive.

qu’ils ne se détériorassent par le frot­tement[243.1]. »

Cet intrépide collectionneur « mourut glorieusement, sur un tas de livres, le 16 décembre 1832, raconte un de ses bio­graphes[243.2]. Il avait été frappé d’apoplexie ; mais la chaleur de son appartement n’y était pour rien, car il ne souffrait, en aucune saison, que l’on fît du feu dans sa chambre : selon lui, cela eût pu ternir la reliure de ses précieux volumes. Durant les grands froids, il se faisait mettre sur les pieds un in-folio. Son livre de prédilection, dans ces occasions exceptionnelles, était un certain Barlæus de dimensions honnêtes, et qui, racontant les conquêtes des Hollandais sous les tropiques, devait sans doute déverser sur les pieds de l’heureux dormeur la bienfaisante chaleur que rappelle si souvent l’historien. »

 

Un autre bibliophile, J.-F. Chenu (xixe siècle), « qui publia de charmantes éditions, la joie des amateurs, » ce qui ne l’enrichit pas, aima mieux mourir pauvre, au milieu de ses livres, que de les vendre pour augmenter ses maigres res­sources[243.3].

 

Un conservateur à la Bibliothèque de l’Arsenal, Jean Baptiste-Augustin Soulié (1780-1845), que sa

[II.259.243]
  1.  Mouravit, op. cit., p. 135.  ↩
  2.  Dans le Magasin pittoresque, année 1871, p. 32 (article anonyme).  ↩
  3.  Firmin Maillard, op. cit., p. 138.  ↩

Le Livre, tome II, p. 229-245

Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 229.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 229 [245]. Source : Internet Archive.

collections de livres qui existât, s’éteignit de même dans sa bibliothèque. C’était quelque temps après la mort de sa femme, qu’il chérissait. Très malade, moribond, il s’était fait transporter au milieu de ses livres, avait pris entre ses mains un volume particulièrement aimé de sa défunte compagne, et il le feuilletait, le contemplait, quand la mort vint lui clore les yeux[229.1].

Jacques-Charles Brunet (1780-1867), l’auteur du Manuel du libraire, mourut pareillement, assis dans son fauteuil, au milieu de ses livres, après une longue vie, toute consacrée à l’étude et au travail. Il pouvait se dire et disait de lui-même : « … Si le caractère et l’esprit ont été souvent dominés par le tempérament ; si, par conséquent, je suis resté un homme médiocre, je ne dois pas regarder cela comme un malheur, puisque j’ai été préservé de l’ambition, qui trop souvent tourmente les esprits plus brillants et plus ardents que le mien, et que, satisfait d’une modeste fortune, fruit de travaux utiles, j’ai pu jouir d’une douce indépendance, et couler des jours paisibles, au milieu des agitations qui ont renversé, à côté de moi, tant d’existences en apparence dignes d’envie[229.2] ».

C’est dans sa bibliothèque aussi que mourut le col-

[II.245.229]
  1.  Fertiault, op. cit., p. 28 ; et Drames et Cancans du livre, p. 263.  ↩
  2.  Firmin Maillard, op. cit., pp. 137-138.  ↩

Le Livre, tome II, p. 226-242

Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 226.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 226 [242]. Source : Internet Archive.

à ce même expédient, demeura inconsolable de la perte de ses bien-aimés livres : « Quand on parlait devant lui de quelque auteur qu’il avait possédé, les larmes lui venaient aux yeux. De ce moment, les lettres grecques, qui lui avaient valu sa réputation, lui devinrent tout à fait odieuses. » Il mourut peu après la dernière vente, le dernier coup[226.1].

Forcé, lui aussi, de mettre ses livres aux enchères, le prince Camerata (xixe siècle) se brûle la cervelle aussitôt après la dispersion de ses chers trésors[226.2].

Un Américain, M. Bryan, nous conte M. Jules Claretie[226.3], avait fait don, il y a quelques années, à la Bibliothèque de l’Arsenal, d’une magnifique collection de livres romantiques, parmi lesquels se trouvaient un exemplaire du célèbre Paul et Virginie, de Curmer, « sur chine, avec le chiffre de Jules Janin, J.J., couronné de roses, sur la reliure pleine, » et une Notre-Dame de Paris, sur chine également, d’une valeur de quinze mille francs. Un jour on annonça à M. de Heredia, administrateur de ladite

[II.242.226]
  1.  Michaud, op. cit.  ↩
  2.  Jules Janin, ap. Fertiault, les Légendes du livre, pp. 135 et 202. Un autre grand seigneur du même temps, le comte de Labédoyère, dont tous les bouquinistes des quais connaissaient bien « le sac et le chien mouton », s”imaginant qu’il était fatigué de ses livres, les vendit, « puis passa le reste de sa vie à courir après dans les ventes et à les racheter à tout prix, comme autant d’enfants prodigues qui auraient fui de la maison paternelle ». (Firmin Maillard, les Passionnés du livre, p. 125.)  ↩
  3.  Le Journal, numéro du 10 novembre 1903.  ↩

Le Livre, tome I, p. 180-204

Albert Cim, Le Livre, t. I, p. 180.
Albert Cim, Le Livre, t. I, p. 180 [204]. Source : Internet Archive.

ans, des fonctions universitaires, en dernier lieu celles d’inspecteur d’Académie à Dijon, aux appointements annuels de 3000 francs ; après toute une vie de labeur opiniâtre et de services rendus à ses concitoyens, à l’enseignement et à la science, Peignot mourut pauvre, sans titres ni rubans, ce qui, selon la remarque de son bio­graphe[180.1], « est le meilleur éloge qu’on puisse faire » de ce modeste et savant, de cet excellent et heureux homme, de ce vrai sage.

J’ai déjà eu recours plus d’une fois, pour le présent travail, aux livres de Gabriel Peignot, et j’y puiserai encore. Je me bornerai ici, dans cette sorte de

[I.204.180]
  1.  J. Simonnet, op. cit., p. 63. Comme Gabriel Peignot, Ludovic Lalanne (1815-1898), un autre grand ami des livres, un autre érudit également aussi laborieux que modeste, l’auteur de l’excellent petit volume, Curiosités bibliographiques, que j’ai mis amplement déjà et mettrai encore à contribution, l’auteur des Curiosités littéraires, des Curiosités biographiques, Curiosités philologiques, Curiosités militaires, etc., du Dictionnaire historique de la France, etc., ne fut rien et ne voulut rien être — que bibliothécaire. Faisant allusion à sa haute taille et en même temps à ses invincibles scrupules et à sa dignité de caractère, il disait que, pour arriver, il fallait se résoudre « à passer sous des portes trop basses, et que cela le gênait de se courber ». (Renseignement personnel.) — Ajoutons que, vingt ans après la mort de Gabriel Peignot, c’est-à-dire en 1869, le Bibliophile Jacob, Gustave Brunet et Pierre Deschamps provoquèrent une souscription pour venir en aide à sa veuve et à ses enfants, qui se trouvaient dans la plus grande détresse. Précédemment deux souscriptions avaient été ouvertes de même en faveur d’un autre docte et infatigable bibliographe, « de Quérard, l’une pour le faire vivre, l’autre pour le faire enterrer ». (Firmin Maillard, les Passionnés du livre, p. 138.)  ↩