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Le Livre, tome III, p. 125-139

Albert Cim, Le Livre, t. III, p. 125.
Albert Cim, Le Livre, t. III, p. 125 [139]. Source : Internet Archive.
Albert Cim, Le Livre, t. III, p. 126.
Pour suite de note : Albert Cim, Le Livre, t. III, p. 126 [140]. Source : Internet Archive.
Albert Cim, Le Livre, t. III, p. 127.
Pour suite de note : Albert Cim, Le Livre, t. III, p. 127 [141]. Source : Internet Archive.
Albert Cim, Le Livre, t. III, p. 128.
Pour suite de note : Albert Cim, Le Livre, t. III, p. 128 [142]. Source : Internet Archive.
Albert Cim, Le Livre, t. III, p. 129.
Pour suite de note : Albert Cim, Le Livre, t. III, p. 129 [143]. Source : Internet Archive.

III. L’Impression

L’imprimerie « mûre en naissant » ; sa glorification. — Incunables : leurs caractères distinctifs. Création ou apparition des lettres j et v, des points sur les i, des virgules et autres signes de ponctuation. — Marques des anciens imprimeurs. — « Ménagez vos yeux » : pas de livres imprimés en caractères trop fins. — Le point typographique. Œil d’une lettre ; corps ; hauteur en papier ; talus ; approche ; queue ; pleins ; déliés ; obit ou apex, empattement ; espaces ; cadrats ; cadratins ; demi-cadratins ; garnitures ou lingots, etc. — Anciens noms des caractères d’imprimerie avec leur force de corps. — Caractères : romain (romain Didot, Raçon, Plon, Grasset, etc. ; caractères distinctifs de l’Imprimerie nationale) ; elzevier, italique. — Caractères de fantaisie : allongée, alsacienne, antique, classique, égyptienne, italienne, latine, normande, etc. — Casse. — Police des lettres. — Encre d’imprimerie. — Empreintes. Clichage et stéréotypie. Procédé anastatique. — Machine à composer : linotype, électrotypographe, etc. — Avilissement de la librairie. — La correction typographique. — Plus de correcteurs. — Aucun livre sans faute. — Millésime. — Foliotage. — Aberrations typographiques. Modern style. — Index alphabétique. Table des matières. — Rapports de la typographie avec les facultés visuelles : pas de caractères inférieurs au « huit » ; pas de lignes trop longues ; interlignage. Encore une fois : « Gare à vos yeux ! »

L’imprimerie, cette invention qui, selon le mot de Louis XII, « semble estre plus divine que humaine[125.1] »,

[III.139.125]
  1.  Déclaration du 9 avril 1513. Cf. G.-A. Crapelet, Études pratiques et littéraires sur la typographie, p. 28, qui constate encore (p. 2) que « l’art typographique…, cette admirable invention était regardée comme l’œuvre de la divinité même, » et (p. ij) que, « dès ses premières œuvres, l’imprimerie fut divinisée ». « Typographia, Deorum manus et munus, imo ipsa, cum mortuos in vitam revocet, omnino diva est. » (Casp. Klock, De Ærario, I, xix, 43, ap. G.-A. Crapelet, op. cit., p. ij, n. 1.) « Dès 1460, dit M. Gustave Mouravit (le Livre et la Petite Bibliothèque d’amateur, p. 160, n. 1), Jean Temporarius écrivait de sa main, sur un exemplaire du De Officiis de Fust et Schoeffer (Metz, 1456) : « Typographia donum Dei præstantissimum. » Le Bulletin du bibliophile (9e série, p. 237) a reproduit tout entière cette note fort curieuse. On peut en rapprocher ces vers de Claude-Louis Thiboust, le poète typographe du xviiie siècle :
    •  Hæc ars fata domat, mentes hæc luce serenat,
      Doctorum hæc merito gloria et orbis amor ;

     distique qui a été ainsi traduit par Charles Thiboust, fils de Claude-Louis :

    •  Cet art ingénieux sait braver le destin ;
      Par son secours l’esprit en devient plus divin ;
      Il conduit les savants au Temple de Mémoire ;
      Il fait de l’univers et l’amour et la gloire.

     (Typographiæ excellentia, pp. 20 et 21 ; Paris, 1734, in-8.) Voir aussi l’éloge de l’imprimerie, « invention divine », ap. Ambroise Firmin-Didot, Essai sur la typographie, col. 568, 569, 570, 571, 602, 634, 750, 827, 879, 888, 904. Joachim du Bellay (1524-1560) appelait « excellemment » l’imprimerie « sœur des Muses » et aussi dixième Muse ». (Sainte-Beuve, Nouveaux Lundis, t. XIII, p. 308.) Étienne Pasquier (1529-1615), dans ses Recherches de la France (chap. xx et lxvi ; t. I, p. 136, et t. II, p. 205 ; Paris, Didot, 1849), fait également grand éloge de l’imprimerie, « qui baille vie aux bonnes lettres ». Louis XIV déclare, dans un édit de 1649, « l’imprimerie le plus beau et le plus utile de tous les arts ». (Cf. Ambroise Firmin-Didot, op. cit., col. 827.) En tête de son Manuel typographique (t. I, p. iv). Fournier le Jeune a inscrit — et modifié comme il suit — les vers bien connus de la Pharsale de Brébeuf :

    •  C’est de Dieu que nous vient cet art ingénieux
      De peindre la parole et de parler aux yeux.

     Plus loin (t. I, p. vij), il dit que l’imprimerie est « regardée à juste titre comme un présent du ciel ». Et Victor Hugo (Notre-Dame de Paris, livre V, chap. ii ; t. I, p. 216 ; Paris, Hachette, 1860) : « L’invention de l’imprimerie est le plus grand événement de l’histoire. C’est la révolution-mère. C’est le mode d’expression de l’humanité qui se renouvelle totalement…. Sous la forme imprimerie, la pensée est plus impérissable que jamais ; » etc. (Cf. notre tome I, p. 109, où, après cette déclaration de Victor Hugo, se trouve une importante remarque de Michelet.) « Dans les divers pays où l’imprimerie est introduite, on peut juger, dès son origine, de l’état de la civilisation de chacun d’eux par la nature des ouvrages qu’elle publie, et l’histoire de l’esprit humain est inscrite tout entière dans ta bibliographie. » (Ambroise Firmin-Didot, op. cit., col. 736.) De nombreux poèmes ont été consacrés à la glorification de l’imprimerie. Nous citions, il y a un instant, le poème latin de Claude-Louis Thiboust (1667-1737), Typographiæ excellentia, qui a été composé et imprimé par lui en 1718, et dont les trois courtes sections ont respectivement pour titre : Liquator (le Fondeur), Compositor (le Compositeur), Typographus (l’Imprimeur) ; il donne une idée exacte de ce que l’imprimerie était alors. On trouvera ces vers (moins le distique que nous avons reproduit tout à l’heure, et qui termine ce petit poème) dans l’Essai sur la typographie d’Ambroise Firmin-Didot (col. 899 et s.), avec la traduction qu’en a faite, et publiée en 1754, le fils de l’auteur, Charles Thiboust. Dans ce même ouvrage (col. 846), on trouvera aussi un fragment d’une Épitre sur le progrès de l’imprimerie, par Didot fils aîné [Pierre Didot], publiée en 1784, et qu’il a « adressée à son père ». Rappelons qu’Ernest Legouvé (1807-1903), le fils du chantre du Mérite des Femmes, a débuté par une pièce de vers sur l’Invention de l’imprimerie, qui obtint le prix de poésie à l’Académie française en 1829 (cf. Ernest Legouvé, Soixante ans de souvenirs, t. I, p. 62) ; et qu’à cette même date, Hégésippe Moreau (1810-1838), futur typographe, composa une épître Sur l’imprimerie, dédiée à M. Firmin-Didot. Il est même probable que cette épitre fut, sinon présentée, du moins originairement destinée au susdit concours académique, où, parmi les concurrents, figurèrent : L. Pelletier, dont le poème (bien mauvais, mais accompagné de notes intéressantes), parut en 1832, sous le titre la Typographie (cf. p. 200) ; « Bignan, le lauréat perpétuel de l’Académie française ; Mme Tastu, presque célèbre ; Saintine, qui avait résumé le sujet par cette heureuse comparaison :

    •  Voilà donc le levier
      Qu’Archimède implorait pour soulever le monde ! »

     (René Vallery-Radot, Œuvres complètes de Hégésippe Moreau, Introduction, t. I, pp. 24-25.) Citons encore le drame en cinq actes et en vers d’Édouard Fournier (1819-1880), Gutenberg, représenté à l’Odéon, le 8 avril 1869. En opposition et comme contre-partie, signalons la célèbre tirade de Jean-Jacques Rousseau, dans son Discours : Si le rétablissement des sciences et des arts a contribué à épurer les mœurs (Œuvres complètes, t. I, p. 18 ; Paris, Hachette, 1862) : « Le paganisme, livré à tous les égarements de la raison humaine, a-t-il laissé à la postérité rien qu’on puisse comparer aux monuments honteux que lui a préparés l’imprimerie, sous le règne de l’Évangile ? Les écrits impies des Leucippe et des Diagoras sont péris avec eux ; on n’avait point encore inventé l’art d’éterniser les extravagances de l’esprit humain ; mais, grâce aux caractères typographiques…. A considérer les désordres affreux que l’imprimerie a déjà causée en Europe, à juger de l’avenir par le progrès que le mal fait d’un jour à l’autre, on peut prévoir aisément que les souverains ne tarderont pas à se donner autant de soins pour bannir cet art terrible de leurs États, qu’ils en ont pris pour l’y introduire…. » La prévision ou prédiction ne s’est guère réalisée ; on pourrait même presque dire que c’est l’inverse qui s’est produit, que c’est l’imprimerie, « cet art terrible », qui a « banni », ou est en train de bannir, les souverains de leurs États, et d’implanter partout la démocratie. Citons encore, dans le même ordre d’idées, le mot du comte de Salaberry (1766-1847), député de Loir-et-Cher sous la Restauration, et si fameux alors par son esprit rétrograde, son royalisme exalté et son intolérance : « L’imprimerie est la seule plaie dont Moïse ait oublié de frapper l’Égypte ». (Cf. Charles de Rémusat, Correspondance, t. I, p. 375, note ; et Larousse, op. cit. ↩

Le Livre, tome III, p. 045-059

Albert Cim, Le Livre, t. III, p. 45.
Albert Cim, Le Livre, t. III, p. 45 [059]. Source : Internet Archive.
Albert Cim, Le Livre, t. III, p. 46.
Pour suite de note : Albert Cim, Le Livre, t. III, p. 46 [060]. Source : Internet Archive.

avec les papiers simplement glacés ou satinés. Pour les distinguer, il suffit de mouiller le doigt et de frotter légèrement un coin de la feuille à examiner : si le doigt se salit, se couvre d’un petit dépôt blanchâtre, on a affaire à du papier couché ; dans le cas contraire, à du papier simplement glacé ou satiné.

Ces papiers plâtrés et glacés, d’une blancheur éclatante, si répandus aujourd’hui, et qui, d’ailleurs, sont de date récente[045.1], ont pour la vue de sérieux inconvénients, on peut même dire de très graves dangers. On ne saurait mieux comparer l’effet produit par eux sur la rétine qu’à celui de la réverbération d’une route poudreuse tout ensoleillée ou d’un champ de neige, qu’on serait astreint à regarder. Des médecins allemands ont, il y a quelques années, dirigé des attaques très vives contre les papiers couchés et, en général, contre les papiers trop glacés et trop blancs.

« Nous n’avons pas besoin de faire remarquer, écrit à ce propos la Revue scienti­fique[045.2], quelle transformation complète s’est produite dans les papiers d’impression. On est bien loin des antiques papiers de chiffon, dotés d’une coloration grise ou bleuâtre[045.3],

[III.059.045]
  1.  Le papier glacé était, pour ainsi dire, inconnu, ou du moins n’était pas en usage avant le xixe siècle : « … Ce papier glacé, qu’on ne voit guère employé, en effet, au xviiie siècle, même par les mains les plus délicates…. » (Sainte-Beuve, Causeries du lundi, t. X, p. 107, n. 1.)  ↩
  2.  Numéro du 3 juin 1899, p. 696.  ↩
  3.  On connaît principalement cette teinte bleuâtre de l’ancien papier de Hollande. Elle provenait de ce que ce papier, fabriqué surtout avec « les eaux saumâtres de Serdam [Saardam appelé aussi Zaandam], où sont situées les papeteries hollandaises…, ne pouvait pas conserver sa blancheur ; il devenait jaune en peu de temps ; pour déguiser ce défaut, les Hollandais ont imaginé de mettre du bleu dans leurs matières, et l’on voit actuellement plus que jamais cet œil bleuâtre dans leurs papiers ; ce n’est pas seulement un blanc de lait comme autrefois, c’est un blanc azuré, ou plutôt un bleu pâle. » (Lalande, op. cit., p. 82.)  ↩

Le Livre, tome II, p. 348-364

Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 348.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 348 [364]. Source : Internet Archive.

son vieux maître de grammaire Convenevole (ou Convennole) da Prato, et que celui-ci, pour se procurer quelques ressources, mit en gage, mais sans jamais oser dire entre quelles mains. Malgré nombre de réclamations et quantité de recherches, le précieux manuscrit demeura introuvable, et fut perdu pour Pétrarque comme pour nous[348.1].

Parmi les emprunteurs peu enclins à restituer, on cite le moraliste Nicole (1625-1695) : « Il ne rendait pas très exactement les livres qu’il empruntait, écrit de lui Sainte-Beuve[348.2]. M. de Pontchâteau, qui tenait fort à ses livres[348.3], paraît s’en plaindre en un endroit de ses lettres : « N’en dites rien néanmoins, il faut savoir perdre. Mais il faut avouer ma faiblesse, je hais plus de perdre un livre qui ne vaudrait que dix sols, que dix pistoles. Cela est d’un petit esprit : aussi suis-je tel. »

Gœthe n’aimait pas non plus, prétend-on, rendre les ouvrages ou estampes qu’on lui prêtait, et c’est ainsi qu’il a su, jusqu’à ses derniers jours, enrichir ses collections. « Emprunter et oublier longtemps

[II.364.348]
  1.  Cf. Ludovic Lalanne, op. cit., p. 227 ; et Fertiault, Drames et Cancans du livre, pp. 141-156.  ↩
  2.  Port-Royal, t. IV, p. 414, n. 1.  ↩
  3.  C’est ce M. de Pontchâteau qui « s’éveillait quelquefois avec ce mot de l’Imitation à la bouche : In omnibus requiem quæsivi, et nusquam inveni nisi in angulo cum libro : « J’ai cherché partout le repos, et je ne l’ai nulle part trouvé que dans un petit coin avec un petit livre. » (Sainte-Beuve, op. cit., t. V, p. 257.)  ↩

Le Livre, tome II, p. 347-363

Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 347.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 347 [363]. Source : Internet Archive.

On conte, à ce propos, que l’acerbe et agressif lexicologue François Génin (1803-1856)[347.1] avait eu occasion, alors qu’il était professeur à la Faculté de Strasbourg, de prêter les deux premiers volumes d’un superbe exemplaire de Tom Jones à l’un de ses collègues qui voulait apprendre l’anglais. Rentré à Paris, attaché à la rédaction du National, Génin avait vainement écrit vingt fois pour réclamer ces volumes : pas de réponse. A bout de patience, il fit un paquet des deux tomes qui lui restaient et les envoya par la diligence à son trop silencieux emprunteur. « Comme cela, du moins, lui écrivait-il en même temps, un de nous deux aura l’ouvrage complet. Ce sera vous, puisque vous ne voulez pas que ce soit moi ; ce qui cependant m’aurait paru plus naturel[347.2]. »

Une des pertes d’ouvrage les plus regrettables, causées par un emprunteur de livres, c’est celle du traité De Gloria de Cicéron, que Pétrarque prêta à

[II.363.347]
  1.  « Génin est un tape-dur ; il a toujours besoin de taper sur quelqu’un. » Etc. (Sainte-Beuve, Causeries du lundi, t. XI, p. 464.) « Génin, l’écrivain anti-jésuitique et anti-ecclésiastique le plus passionné. » (Id., op. cit., t. I, p. 390.) Particularité curieuse, cet adversaire acharné de la religion et des prêtres avait, outre la passion des lettres, celle du plain-chant, et « il a composé une messe en musique qui a été exécutée deux fois, le jour de Noël, dans l’église Saint-Leu, à Paris ». (B. Hauréau, art. sur Génin, ap. Dr Hœfer, Nouvelle Biographie générale.)  ↩
  2.  P.-J. Martin, l’Esprit de tout le monde, pp. 117-118. (Paris, Magnin, 1859.)  ↩

Le Livre, tome II, p. 336-352

Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 336.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 336 [352]. Source : Internet Archive.

Plus explicite encore est M. Octave Uzanne (1851-….), qui a on ne peut mieux dépeint les angoisses et les transes, l’ « état d’âme » d’un bibliophile qui a prêté un de ses chers livres[336.1].

« Les livres ont toujours été la passion des honnêtes gens, disait le poète polyglotte Vadius Ménage ; si nous paraphrasons cette pensée devenue célèbre, nous dirons que les livres ont toujours été le goût favori, la passion raisonnée des hommes paisibles, rangés, d’un esprit correct et systématique. Un bibliophile aime ses volumes d’un amour particulier, d’un amour quelque peu vaniteux, de ce même amour de propriétaire que Gavarni a immortalisé dans cette légende de bourgeois possesseur : Mon mur ; un bibliophile dit : Mes livres avec la même intonation satisfaite et glorieuse ; il ressent pour eux une tendresse mêlée de crainte, de pudeur, d’effarement bizarre, qui se comprend et s’analyse facilement. « Si, dans les mains du gros propriétaire, le plâtre se fait or, les livres deviennent joyaux dans celles

[II.352.336]
  1.  Octave Uzanne, Du prêt des livres, op. cit., t. I, pp. 35-40. Cf. aussi Bayle (ap. Sainte-Beuve, Portraits littéraires, t. I, p. 380), qui, à Coppet, en 1672, cest-à-dire à l’âge de vingt-cinq ans, et dans tout le feu de la galanterie, ayant prêté à une demoiselle le roman de Zayde, et ne pouvant plus le ravoir, s’impatientait, s’énervait, s’exaspérait : « Fâché de voir lire si lentement un livre, je lui ai dit cent fois le tardigrada, domiporta, et ce qui s’ensuit, avec quoi on se moque de la tortue. Certes, voilà bien des gens propres à dévorer les bibliothèques ! »  ↩

Le Livre, tome II, p. 333-349

Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 333.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 333 [349]. Source : Internet Archive.

(1683-1766) avait également pour devise : Thomas G. et amicorum[333.1].

Le bibliophile Jordan (1700-1745), de Berlin, ami de Frédéric le Grand, mettait aussi en tête de ses livres l’inscription : Jordani et amicorum[333.2].

De même, J. Gomez de la Cortina (….-….), dont plusieurs volumes se trouvent à la bibliothèque universitaire de Douai, faisait graver sur le plat de ses livres, au-dessus de ses armoiries : J. Gomez de la Cortina et amicorum, et au-dessous : Fallitur hora legendo[333.3].

Et Jacques Denyau (….-….) bibliophile angevin : Sum Jacobi Denyau et amicorum, non omnium[333.4].

De nos jours, le sénateur Victor Schœlcher (1804-1894) avait adopté cet ex-libris, bien autrement libéral que celui de Grolier : « Pour tous et pour moi[333.5] ». En vrai et magnanime philanthrope, il commençait la charité par autrui, par tout le monde, et se servait le dernier.

Un collectionneur du xviiie siècle, Randon de Boisset, désirant concilier sa jalouse passion de

[II.349.333]
  1.  F. Fertiault, op. cit., p. 353.  ↩
  2.  Sainte-Beuve, Causeries du lundi, t. VII, p. 486.  ↩
  3.  Jules Cousin, De l’organisationdes bibliothèques, p. 160, n. 1.  ↩
  4.  L’Intermédiaire des chercheurs et curieux, 10 juillet 1879, col. 390.  ↩
  5.  L’Intermédiaire des chercheurs et curieux, 10 juillet 1879, col. 401.  ↩

Le Livre, tome II, p. 308-324

Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 308.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 308 [324]. Source : Internet Archive.

« les enveloppes royales qui déshonorent ces matériaux immortels », dût cette opération coûter quatre millions. « Nous n’en sommes pas à quatre millions près, quand il s’agit d’une opération publique, vraiment républicaine, et qui intéresse l’honneur national[308.1]. »

La Convention, grâce en partie à Marie-Joseph Chénier, repoussa cette barbare et stupide proposition.

Mais un autre écrivain du même temps, ce paradoxal et ce fou de Sébastien Mercier (1740-1814)[308.2], — qui déclarait que le cri de la grenouille est des plus agréables à entendre, et que le prétendu chant du rossignol est horripilant ; que c’est le soleil qui tourne autour de la terre ; etc.[308.3], — Mercier n’avait pas attendu l’avènement de la Révolution pour réclamer la suppression des bibliothèques publiques.

« Ce monument du génie et de la sottise,

[II.324.308]
  1.  Ap. Eugène Despois, le Vandalisme révolutionnaire, p. 221. Voir particulièrement, dans cet ouvrage, sur le sujet qui nous occupe, les chapitres xv et xvi, Rapports de Grégoire sur le vandalisme et Bibliothèques ↩
  2.  « Fou furieux », dit le bibliophile Jacob (l’Intermédiaire des chercheurs et curieux, 10 février 1877, col. 75) ; mais qui ne manque pas de talent, et dont les écrits sont d’une originalité parfois pleine d’intérêt.  ↩
  3.  Cf. Larousse, op. cit. « Ce bizarre Mercier…, qui s’intitulait lui-même le premier livrier de France », est un de ces excentriques qualifiés qui frisent le génie et qui le manquent…. Il ne pouvait souffrir un livre relié, et, dès qu’il en tenait un, il lui cassait le dos. (Sainte-Beuve, Nouveaux Lundis, t. X, p. 84.)  ↩

Le Livre, tome II, p. 306-322

Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 306.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 306 [322]. Source : Internet Archive.

comprends tout, j’ai de moi-même et ab ovo l’omniscience infuse[306.1].

Sainte-Beuve, ce si délié et expert observateur des gens de lettres et des choses littéraires, a fort bien reconnu et nettement attesté, et expliqué aussi, ce phénomène : « Les grands auteurs, une fois arrivés à la gloire, se lisent et ne lisent guère qu’eux-mêmes[306.2] ». Et, ajoutons-le, combien d’écrivains se croient ici « grands auteurs », se figurent être « arrivés à la gloire » ; combien, en dehors de Pierre Loti, d’Émile Zola, de Maupassant, etc., « ne lisent guère qu’eux-mêmes » !

Rappelons d’ailleurs cette autre remarque, cet autre principe, aussi formulé par Sainte-Beuve[306.3] : « Ce sont les ignorants comme Pascal, comme Descartes, comme Rousseau, ces hommes qui ont peu lu, mais qui pensent et qui osent, ce sont ceux-là qui remuent bien ou mal et qui font aller le monde ».

Nous avons vu[306.4] que Mélanchthon bornait toute sa bibliothèque à quatre auteurs : Platon, Pline, Plutarque et Ptolémée. Le philosophe matérialiste Hobbes (1588-1679), lui, « ne possédait point de biblio-

[II.322.306]
    •  A quoi sert-il de lire ? On sait tout aujourd’hui.

     (Chéron, le Tartuffe de mœurs, comédie (1789). acte III, sc. v.)  ↩

  1.  Sainte-Beuve, Chateaubriand et son groupe littéraire, t. I, p. 209.  ↩
  2.  Causeries du lundi, t. II, pp. 185-186.  ↩
  3.  Supra, t. I, p. 231.  ↩

Le Livre, tome II, p. 303-319

Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 303.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 303 [319]. Source : Internet Archive.

fâchée de perdre son temps à lire, » nous avoue Danielo[303.1], le secrétaire de Chateaubriand. Et, parlant de son patron, il dit encore : « Je ne crois pas même qu’il ait jamais eu une édition bien complète de ses œuvres. Quand il avait besoin d’un livre ou d’une recherche, j’étais là pour aller aux bibliothèques publiques. »

Tout comme Shakespeare, qui ne devait pas être grand liseur, puisque « son ignorance faisait pitié à Ben Johnson[303.2] », « Victor Hugo (1802-1885) lisait très peu, et c’est en fouillant dans son imagination, aidée de Sauval et de l’historien Pierre Matthieu, qu’il a édifié sa Notre-Dame[303.3] ». La bibliothèque de Victor Hugo était « très peu nombreuse (si tant est qu’il eût une bibliothèque) », dit encore Sainte-Beuve[303.4]. Jules Simon est plus précis et plus formel : « Victor Hugo n’avait pas un seul livre chez lui, écrit-il[303.5] ; j’en ai vingt-cinq mille chez moi. On peut se passer de livres quand on est Victor Hugo. Quand on n’est que moi, on n’en a jamais assez. »

De même pour Lamartine (1790-1869) : « Lamartine n’avait jamais eu de goût pour la lecture. « Je n’ai

[II.319.303]
  1.  Ap. Fertiault, les Amoureux du livre, p. 198.  ↩
  2.  Gustave Planche, Portraits littéraires, t. II, p. 349. (Paris, Werdet, 1836.)  ↩
  3.  Sainte-Beuve, Nouvelle Correspondance, p. 280, lettre du 15 juin 1868.  ↩
  4.  Nouveaux Lundis, t. IV, p. 454, Appendice.  ↩
  5.  Ap. Georges Brunel, le Livre à travers les âges, p. 3.  ↩

Le Livre, tome II, p. 302-318

Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 302.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 302 [318]. Source : Internet Archive.

nous relevons les noms de beaucoup de gens de lettres, et des noms des plus retentissants et des plus grands.

« Chateaubriand (1768-1848) avait une antipathie et une aversion bien singulières de la part d’un quasi-historien : il ne pouvait souffrir les livres. Mme de Chateaubriand écrivait, le 10 juillet 1839, à un vieil ami de Lyon, l’abbé de Bonnevie : « Le bon abbé Deguerry vous aura dit que nous sommes très contents de notre appartement. M. de Chateaubriand surtout en est enchanté, parce qu’il n’y a pas moyen d’y placer un livre : vous connaissez l’horreur du patron pour ces nids à rats qu’on appelle bibliothèques[302.1]. »

Ajoutons que Mme de Chateaubriand partageait l’aversion de son illustre époux : « Elle n’estimait guère les livres qu’au poids…. Elle eût été bien

[II.318.302]
  1.  Sainte-Beuve, Chateaubriand et son groupe littéraire, t. II, pp. 70-71, note. Cette « horreur du patron » pour les livres et les bibliothèques ne l’empêchait pas de glisser, dans une note de son Itinéraire de Paris à Jérusalem (t. II, p. 48 ; Paris, Didot, 1877), ces considérations, qui sont plus que jamais d’actualité : « Aujourd’hui, dans ce siècle de lumières, l’ignorance est grande. On commence par écrire sans avoir rien lu, et l’on continue ainsi toute sa vie. Les véritables gens de lettres gémissent en voyant cette nuée de jeunes auteurs qui auraient peut-être du talent s’ils avaient quelques études. Il faudrait se souvenir que Boileau lisait Longin dans l’original, et que Racine savait par cœur le Sophocle et l’Euripide grecs. Dieu nous ramène au siècle des pédants ! Trente Vadius ne feront jamais autant de mal aux lettres qu’un écolier en bonnet de docteur. »  ↩

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