Mot-clé - Uzanne (Octave)

Fil des billets - Fil des commentaires

Le Livre, tome II, p. 343-359

Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 343.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 343 [359]. Source : Internet Archive.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 344.
Pour suite de note : Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 344 [360]. Source : Internet Archive.

revint que tout taché d’encre et dans le plus pitoyable état. Sur une des pages, la page 61, en regard de la plus grosse tache, Chénier écrivit alors (1781) ces lignes :

« J’ai prêté, il y a quelques mois, ce livre à un homme qui l’avait vu sur ma table, et me l’avait demandé instament (sic). Il vient de me le rendre en me faisant mille excuses. Je suis certain qu’il ne la pas lu. Le seul usage qu’il en ait fait a été d’y renverser son écritoire, peut-être pour me montrer que, lui aussi, il sait commenter et couvrir les marges d’encre. Que le bon Dieu lui pardone (sic) et lui ôte à jamais l’envie de me demander des livres[343.1] ! »

C’est le cas de rappeler le « mirlito­nesque »[343.2] distique, dont Charles Nodier, Guilbert de Pixérécourt, d’autres encore, se disputent la paternité[343.3] :

Tel est le triste sort de tout livre prêté,
Souvent il est perdu, toujours il est gâté ;

et le fameux sixain de Guillaume Colletet, que, par une singulière erreur, provenant sans doute et uniquement de l’assonance, on attribue fréquemment à Condorcet[343.4] :

[II.359.343]
  1.  L’Intermédiaire des chercheurs et curieux, 10 août 1893, col. 127.  ↩
  2.  L’épithète est de M. Octave Uzanne, op. cit., t. I, p. 36.  ↩
  3.  Cf. Octave Uzanne, op. cit., ibid. ; Jules Richard, l’Art de former une bibliothèque, p. 41 ; l’Intermédiaire des chercheurs et curieux, 10 août 1879, col. 401 ; etc.  ↩
  4.  Voir, entre autres, pour cette attribution à Condorcet, Jules Janin, l’Amour des livres, pp. 60-61 ; Édouard Rouveyre, Connaissances nécessaires à un bibliophile, 3e édit., t. I, p. 92 ; Yve-Plessis, Petit Essai de biblio-thérapeutique, p. 20 ; etc. Sur la paternité de Colletet, voir l’intermédiaire des chercheurs et curieux, 10 et 25 février 1878, col. 65 et 122. A part une épître A un jeune Polonais exilé en Sibérie, Condorcet, qui s’est surtout occupé de science et de politique, n’a jamais écrit de vers.  ↩

Le Livre, tome II, p. 336-352

Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 336.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 336 [352]. Source : Internet Archive.

Plus explicite encore est M. Octave Uzanne (1851-….), qui a on ne peut mieux dépeint les angoisses et les transes, l’ « état d’âme » d’un bibliophile qui a prêté un de ses chers livres[336.1].

« Les livres ont toujours été la passion des honnêtes gens, disait le poète polyglotte Vadius Ménage ; si nous paraphrasons cette pensée devenue célèbre, nous dirons que les livres ont toujours été le goût favori, la passion raisonnée des hommes paisibles, rangés, d’un esprit correct et systématique. Un bibliophile aime ses volumes d’un amour particulier, d’un amour quelque peu vaniteux, de ce même amour de propriétaire que Gavarni a immortalisé dans cette légende de bourgeois possesseur : Mon mur ; un bibliophile dit : Mes livres avec la même intonation satisfaite et glorieuse ; il ressent pour eux une tendresse mêlée de crainte, de pudeur, d’effarement bizarre, qui se comprend et s’analyse facilement. « Si, dans les mains du gros propriétaire, le plâtre se fait or, les livres deviennent joyaux dans celles

[II.352.336]
  1.  Octave Uzanne, Du prêt des livres, op. cit., t. I, pp. 35-40. Cf. aussi Bayle (ap. Sainte-Beuve, Portraits littéraires, t. I, p. 380), qui, à Coppet, en 1672, cest-à-dire à l’âge de vingt-cinq ans, et dans tout le feu de la galanterie, ayant prêté à une demoiselle le roman de Zayde, et ne pouvant plus le ravoir, s’impatientait, s’énervait, s’exaspérait : « Fâché de voir lire si lentement un livre, je lui ai dit cent fois le tardigrada, domiporta, et ce qui s’ensuit, avec quoi on se moque de la tortue. Certes, voilà bien des gens propres à dévorer les bibliothèques ! »  ↩

Le Livre, tome II, p. 334-350

Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 334.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 334 [350]. Source : Internet Archive.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 335.
Pour suite de note : Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 335 [351]. Source : Internet Archive.

bibliophile et ses sentiments d’obligeance, s’avisa de se créer deux bibliothèques : l’une, pour lui seul, composée d’éditions princeps et d’exemplaires rares ; l’autre, de volumes ordinaires ou de doubles, qu’il prêtait volontiers[334.1].

Au lieu de deux bibliothèques, le richissime bibliomane anglais Richard Heber (1775-1833) conseille d’en avoir trois, composées des mêmes livres : l’une pour la parade et la montre, l’autre pour son usage personnel, la troisième pour les emprunteurs, « pour prêter à ses amis, à ses risques et périls[334.2] ». Mais tout le monde ne possède pas, comme Richard Heber[334.3], l’emplacement suffisant ni la fortune nécessaire pour s’offrir le luxe de trois, voire de deux bibliothèques, renfermant les mêmes ouvrages en éditions différentes et diversement habillés.

Constantin[334.4], dans son petit manuel de Bibliothéco-

[II.350.334]
  1.  Cf. Gustave Brunet, Dictionnaire de bibliologie catholique, col. 517.  ↩
  2.  Octave Uzanne, Du prêt des livres, Miscellanées bibliographiques, t. I, p. 37.  ↩
  3.  Sur Richard Heber, voir supra, chap. xi, p. 250.  ↩
  4.  « Constantin, pseudonyme de Léopold-Auguste-Constantin Hesse, bibliographe français, né à Erfurth (Prusse) en 1779, mort à Paris en 1844. » (Lorenz, Catalogue général de la librairie française, t. I, p. 579.) Parmi les « prêteurs », M. Fertiault (les Amoureux du livre, pp. 352-353) mentionne encore les noms suivants, dont plusieurs ont été déjà cités par nous dans les pages qui précèdent : « Lucullus (109-57 av. J.-C.) ; Pline le Jeune (62-115) ; saint Isidore de Péluse (370-450) ; les de Thou ; Jacques-Auguste (1553-1617), et son fils François-Auguste (1607-1642) ; Antoine Possevin (Possevino, jésuite italien, 1534-1611) ; Étienne Baluze (1630-1718) ; le poète et historien italien Crescimbeni (1663-1728) ; d’Alembert (1717-1783) ; Francis Douce, antiquaire anglais (1757-1834) ; Nicolas de Nicolis (?) ; Gabriau de Riparfonds (?) ; Mathieu Guéroult (?).  ↩

Le Livre, tome II, p. 295-311

Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 295.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 295 [311]. Source : Internet Archive.

Amours de femme et de bouquin
Ne se chantent pas au même lutrin[295.1] ».

Les épingles à cheveux sont, au dire de maints bibliographes, le coupe-papier habituel de la femme ; à moins qu’elle ne préfère se servir, pour le même office, de son index ou du bout de son pouce, ce qui, d’une façon comme de l’autre, taille les bords du livre en dents de scie.

« Ne confiez jamais, ô bibliophiles, le soin de couper un livre que vous tenez en estime particulière à d’autres qu’à vous-mêmes ; défiez-vous, pour accomplir cette opération si simple en apparence, mais en réalité si délicate, de cette main mignonne qui excelle dans l’art de la broderie et qui ne connaît point de rivale dans mille travaux élégants. Tout habile qu’elle est, cette main charmante, à laquelle on peut confier sans crainte la réparation du tissu le plus fin, vous fera le plus innocemment du monde d’innombrables festons aux marges que vous voulez respecter ; bien heureux si le couteau, en déviant de la ligne marquée, ne tranche cette marge jusqu’au texte, et perde ainsi à tout jamais un livre qui n’est

[II.311.295]
  1.  Ap. Octave Uzanne , op. cit., p. 31. On a aussi orthographié et imprimé ce distique boiteux — que M. Uzanne traite tout simplement en vile prose et écrit sans alinéa — de cette façon :
    •  Amour de femme et de bouquin
      Ne se chante au même lutrin.

     (Maurice Cabs, journal la République, 29 décembre 1901.)  ↩

Le Livre, tome II, p. 286-302

Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 286.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 286 [302]. Source : Internet Archive.

d’un chapitre, lui avait fourni, pendant plusieurs années, des cahiers de fort beaux manuscrits grand in-folio, dont il s’était servi pour faire des bandes et prendre la mesure des habits qu’il faisait. Il en montra quelques restes, où il était encore facile de se rendre compte que c’étaient des manuscrits du xiie siècle[286.1]. »

La cordonnerie pour dames accomplit, pendant plus de vingt-cinq ans, au dire du bibliophile Jacob[286.2], « une effroyable hécatombe de livres anciens ». Voici comment :

« Le quartier qui forme le talon de la chaussure a besoin d’être fortifié par une doublure en cuir plus mince et plus rigide que celui de l’empeigne ; mais le pied délicat des femmes ne s’accommode pas de ce quartier dur et solide[286.3], qui soutient le quartier d’un soulier d’homme. Les cordonniers avaient donc imaginé de doubler le quartier des chaussures de dames avec de la peau de veau ou de mouton déjà assouplie, qu’ils empruntaient à la reliure des vieux livres. On voit d’ici l’objet principal du travail de l’équarrisseur de vieux livres. Les peaux de veau ou

[II.302.286]
  1.  Abbé Lebeuf, ap. Édouard Rouveyre, op. cit., 5e edit., t. VIII, p. 86.  ↩
  2.  Le commerce des livres anciens, dans les Miscellanées bibliographiques, publiées par Édouard Rouveyre et Octave Uzanne, t. II, pp. 75-76.  ↩
  3.  Il faudrait plutôt, il me semble : de cette doublure en cuir dur et solide, qui soutient le quartier, etc.  ↩

Le Livre, tome II, p. 198-214

Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 198.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 198 [214]. Source : Internet Archive.

sous, à trois sous…. Le livre devenant une sorte de journal plié et cousu, pouvant se conserver et faire série, tel est l’avenir du Livre démocratique moderne. C’est par lui que la science non seulement pénétrera, mais se conservera dans la dernière de nos bourgades. Le paysan et l’ouvrier savent lire maintenant ; mais il faut qu’ils aient de quoi lire. Ils veulent autre chose que des almanachs…. »

Aussi rassurons-nous : le livre, quel que soit le préjudice que le journal puisse lui porter, quelle que soit la concurrence que lui fassent aussi les nombreux sports éclos à la fin du siècle dernier : lawn-tennis, croquet, football, etc., et le cyclisme, et l’automobilisme, et la photographie d’amateurs, etc., le livre aura toujours ses fidèles et ses fervents ; il restera toujours ce qu’il n’a jamais cessé d’être, même aux époques les plus remuantes et les plus troublées, « la passion des honnêtes gens[198.1] ».

La presse, cet admirable instrument de propagande et de publicité, a été plus d’une fois très durement jugée, et par des écrivains qui, comme Balzac, comme Thiers, comme Proudhon, la connaissaient

[II.214.198]
  1.  Le mot est de Gilles Ménage (1603-1692), ap. Octave Uzanne, Du prêt des livres, Miscellanées bibliographiques, t. I, p. 35.  ↩

Le Livre, tome I, p. 197-221

Albert Cim, Le Livre, t. I, p. 197.
Albert Cim, Le Livre, t. I, p. 197 [221]. Source : Internet Archive.

« Au catalogue de ses livres, écrivait un jour Jules Janin (1804-1874), on connaît un homme. Il est là dans sa sincérité ; voilà son rêve, et voilà ses amours[197.1]. »

Et Richardson (1689-1761), dans son roman de Clarisse Harlowe[197.2] : « Si vous avez intérêt de connaître une jeune personne, commencez par connaître les livres qu’elle lit ». « Il n’y a rien de si incontestable, ajoute Joseph de Maistre (1754-1821), en citant ce pas­sage[197.3]…. Il est certain qu’en parcourant les livres rassemblés par un homme, on connaît en peu de temps ce qu’il est, ce qu’il sait et ce qu’il aime[197.4]. »

Notre grand historien littéraire Sainte-Beuve (1802-1869), l’auteur de ces admirables Causeries du lundi qu’on a si justement qualifiées d’ « Encyclopédie des Lettres[197.5] », de « trésor inépuisable, que tout

[I.221.197]
  1.  Ap. Uzanne, Nos amis les livres, xi, p. 269.  ↩
  2.  Ap. Peignot, Manuel du bibliophile, t. I, p. 19.  ↩
  3.  Ap. Peignot, op. cit., t. I, pp. 19-20.  ↩
  4.  A cette série d’affirmations, il est bon d’opposer la légitime restriction de M. Jules Claretie (Causeries sur ma bibliothèque, dans les Annales littéraires des bibliophiles contemporains, 1890, p. 5) : « Dis-moi ce que tu lis, je te dirai qui tu es. L’axiome peut être vrai pour un particulier qui choisit selon ses goûts, pour un amateur qui se compose une bibliothèque comme on composerait un bouquet…. Mais la vérité n’est plus stricte lorsqu’il s’agit d’un homme de lettres, tenu à tout garder, après avoir tout lu. »  ↩
  5.  Jules Claretie, le Figaro, 18 septembre 1903.  ↩

Le Livre, tome I, p. 012-036

Albert Cim, Le Livre, t. I, p. 12.
Albert Cim, Le Livre, t. I, p. 12 [036]. Source : Internet Archive.

qui avait écrit et lu le plus de livres[012.1] », lui disait si joliment : « Pour peu que nous ayons un jardin à côté de notre bibliothèque, — c’est-à-dire des fleurs et des livres, — il ne manquera rien à notre bonheur[012.2] ». C’est à Cicéron encore qu’est due cette belle définition et apologie des Lettres, tant et tant de fois citée : « Les Lettres sont l’aliment de la jeunesse et la joie de la vieillesse ; elles donnent de l’éclat à la prospérité, offrent un refuge et une consolation à l’adversité ; elles récréent sous le toit domestique,

[I.032.012]
  1.  Egger, Histoire du livre, p. 247. « Varron, appelé par Quintilien et par saint Augustin le plus savant des Romains. » (Satire Ménippée, p. 273. Paris, Charpentier, 1865.)  ↩
  2.  « Si hortum in bibliotheca habes, deerit nihil. » (Ad familiares [Varroni], Nº 451 ; t. V, p. 411 (Cicéron, Œuvres complètes, trad. Nisard. Paris, Didot, 1881). M. Octave Uzanne (Nos amis les livres, p. 268) a délicatement commenté cette sentence : « Seigneur, s’écriait un ancien, accordez-moi une maison pleine de livres, un jardin plein de fleurs ! » « Il semble que, dans cette prière, soit contenue toute la quintessence de la sagesse humaine : les fleurs et les livres masquent les tristesses de cette vie, et nous font aller en souriant, l’œil égayé, l’esprit bienheuré, jusqu’au jour de la grande échéance définitive, au vrai quart d’heure de Rabelais. »  ↩